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C'est avec une grande tristesse que nous venons d'apprendre la disparition de Nicolas Ker, quelques heures après avoir posté ce portrait de son travail avec Arielle Dombasle. Nous avons décidé de le laisser tel quel, pour rendre hommage à cette journée, à ces photos, et pour le sentir vivant une dernière fois. Nous pensons bien évidement à sa famille, à Arielle Dombasle, et à Marie British.

Nicolas Vidal

La pop est-elle toujours une affaire d’images, de clichés, de perception ? Il paraît de nos jours que la musique n’est pas suffisante pour chanter. Il faut savoir poser, être un commercial, un directeur du marketing. Écrire de bonnes chansons ne suffit plus pour exister. Et puis après, il faut casser l’image, se renouveler, prétendre que l’on est l’inverse de ce que l’on a été. Quand on arrive pour interviewer Arielle Dombasle et Nicolas Ker, plusieurs images se superposent : l’image d’une actrice rohmérienne et d’un chanteur imprévisible. L'image d'une voix lyrique et d’un groupe de pop underground.

Mais heureusement, tout n’est pas si cliché dans la vie, et nous sommes tombés sur un duo plein d’admiration l’un pour l’autre, érudit et fatalement pop, ce que nous avions cru percevoir à l’écoute des deux albums qu’ils ont fait ensemble, “La rivière atlantique”, et le sublime “Empire” sorti il y a tout juste un an, qui se joue justement des clichés pop et rock. “Mes fondamentaux, ce sont les Stooges, le Velvet Underground, David Bowie. Et les Stones sixties. Maintenant, ce serait plus Beethoven. Je ne fais pas de distinctions entre le classique et la pop. Le classique, c’est juste que c’est ce qu’il reste. Il faut juste être musicologue pour entendre les différences, les contrepoints. Chopin, c’est très simple. Il allait dans les bals populaires, et sa musique ce sont des mazurkas.” avance Nicolas Ker. Arielle Dombasle, elle, a plutôt démarré dans le classique, mais pas tout à fait : “C’est vrai que j’ai commencé par des cantates. Mais le classique était déjà accompagné par des machines, notamment la 4X qui était la machine la plus puissante et qui était à l’IRCAM. J’adore l’électro. J’aime être à la pointe de quelque chose.”

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Être à la pointe justement, n’est-ce pas juste se sentir libre d'expérimenter, de passer d’une émission de radio populaire au tournage de clips expérimentaux comme vient de le faire Arielle Dombasle en produisant une série de clips sur les chansons de l’album ?  “On a fait beaucoup de clips en ces temps d'enfermement, mais aussi parce que j’aime ça. L’idée, c’est de faire vivre de la musique avec tout un imaginaire, un cosmos, une esthétique, une éthique qui se répondent comme des transfusions sanguines entre la musique et l’image. C’est merveilleux de prendre la liberté de faire ça.”


L’esthétique, la grande affaire de la pop justement. Comment deux esthètes aussi différents qu’Arielle Dombasle et Nicolas Ker ont-ils réussi à créer un univers sonore et visuel aussi cohérent, aussi subtil ? “Moi j’ai été nourrie à l’esthétique et à la littérature romantique. A part les sœurs Brönté et Patricia Highsmith, on aime les mêmes choses avec Nicolas. Goethe, Nietzsche, Friedrich. Et puis dans le rock, les Cure sont nos grands inspirateurs.” raconte Arielle. “Nicolas est une sorte de moteur de recherche absolu. Il connaît très bien le rock, il connaît par coeur la trajectoire de Bowie. Et il m’a fait connaître tout un territoire - Joy Division, les Cure, les Stooges - dont je ne connaissais que la surface. Et puis Morrissey qui me fait pleurer. “Everyday is like sunday”, j’adore cette chanson. C’est magnifique. Mais notre grande inspiration, c’est aussi la galaxie Warhol et le Velvet”. Nicolas ajoute : “On est touché aux larmes par les mêmes choses. Même dans le cinéma. J’ai vu tous les Bergman, les Murnau, Orson Welles. J’ai aussi fait découvrir à Arielle tout le cinéma d’horreur que j’adore. Je ne pouvais pas lui faire découvrir David Lean. Mais Dario Argento, John Carpenter oui. Je lui ai fait voir les plus beaux. ”

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Cette incursion dans le fantastique et la fantasmagorie infuse également dans les clips qu’Arielle Dombasle a réalisé sur les chanons d’”Empire” : la mort, la destruction, la solitude, le sexe ou les néons de Pigalle répondent aux incursions maritimes, aux sirènes, aux châteaux hantés et aux places vides. “C’est vrai qu’il y a des choses qui se répondent entre les différents clips. Ce ne sont pas des clips à proprement parler sociologiques. Ils sont dans un univers plutôt fantastique, mythologique, métaphorique, et Nicolas est un personnage gothique, donc il y a toujours cette note.” On retrouve également cet univers romantique dans la voix d’Arielle Dombasle qui dans les chansons “écrins” de Nicolas Ker est plus proche de Kate Bush que d’une cantatrice. “J’aime beaucoup Kate Bush. Je l’ai beaucoup écouté ado quand elle arrivait. C’était une star au Mexique où j’ai grandi. Elle était aimée dans plein de pays. Et puis elle arrivait avec ces références à “Wuthering Heights”, les steppes irlandaises…”

Pour Nicolas Ker, la voix d’Arielle Dombasle pourtant si caractéristique n’a pas forcément été l’inspiration principale de leur collaboration :  “Je n’ai pas pensé particulièrement à la voix d’Arielle quand j’ai composé les 2 albums qu’on a fait ensemble. Sur “La rivière Atlantique, on chantait ensemble du début à la fin. Sur “Empire”, on l’a moins fait, et c’était un peu bizarre finalement. Mais là, j’aimerais faire un album pour elle, ou elle chanterait seule, avec des compos basées sur son registre de voix lyrique. Arielle, j’essaie parfois de la faire chanter à la Hope Sandoval de Mazzy Star. Ça casse un peu ses habitudes. Mais Arielle, elle est comme ça, elle n’aime pas rester dans sa zone de confort, et j’ai réussi à lui apporter ça. Mais là, il faut qu’elle se ressource, qu’elle revienne à ses fondamentaux. Elle en a soupé de mes expérimentations !” 

 

Un autre cliché qui vole en éclat à la rencontre d’Arielle Dombasle et Nicolas Ker est celui de la muse aux prises d’un créateur sorcier qui ferait plier son égérie à ses maléfices sonores. “Arielle Dombasle n'est pas ma muse. Je suis en charge du domaine musical et Arielle s’occupe de l’image. Mais on se partage les tâches. On a aussi fait un film ensemble, “Alien Crystal Palace”, dont j’ai fait le script et la musique, et Arielle en a fait la mise en scène. Et on a joué dedans tous les deux. Moi je ne peux pas diriger un film, il faut être un général. Tout le monde chouine, et moi je ne sais pas comment gérer ça. Arielle arrive à le faire en douceur.” Arielle ajoute : “C’est très juste. Il y a cette espèce de conjugaison de nos altérités et de nos savoir-faire. Lui sait composer moi je ne sais pas, et je sais faire des images et lui non.” 

D’autant qu’Arielle Dombasle jongle avec joie entre différentes facettes de son métier, passant de la muse Rohmérienne à la diva pop dans un album composé par Katerine et Gonzales, tout en prenant pour muse dans ses films des figures aussi inspirantes que Cocteau dans “Opium”, (film sort en 2013 sur les amours de l’écrivain avec Raymond Radiguet) où NIcolas Ker dans “Alien Crystal Palace”. “Ce qui compte, c’est la beauté inspirante dans les parcours d’artistes, comme chez Cocteau. Tout d’un coup, les champs magnétiques se réalisent, les êtres s’apportent des cosmos alternatifs.”

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En ce qui concerne la musique, NIcolas Ker a une approche très spontanée que l’on ressent d'ailleurs dans les mélodies très inspirées de cet “Empire” très immédiat : “Quand je compose, je veux toujours qu’il y ait des mélodies catchy, quelque chose qu’on peut fredonner sous la douche. Pour moi, il n’y a pas de High art ou law art, il n’y a que de l’art qui est bon ou pas, et qui touche. Quel que soit le budget. Arielle, elle vient aussi d’un pays qui est comme ça. Au Mexique, les gens sont  fascinés par la BD, les catcheurs, les films de Zombie…”. Et Arielle d’ajouter : “C’est ce qui est rare chez Nicolas. C’est cette grande connaissance des choses, de la littérature. Les affinités, les réponses, les contrepoints marchent dans notre collaboration car on a un terrain commun d’admiration. On a une infirmité élective.”

 

Mais pour capturer cette infirmité élective, il faut d’abord une rencontre, un coup de foudre artistique, un moment suspendu.

“ On s’est rencontré en chantant.” nous dit Arielle. “Avec mon groupe Poni Hoax, on faisait le Backing Band lors d’une soirée burlesque au Cirque d’Hiver organisée par les danseuses qui jouaient dans le film “Tournée” de Mathieu Amalric. Et Arielle était invitée avec Arthur H, Rossy De Palma… J’avais chanté les titres de Poni Hoax et d’autres chansons.” complète Nicolas. “On avait même chanté Plastic Bertrand ! Il m’a avoué qu’il ne connaissait pas les paroles et qu’il chantait n’importe quoi ! Tout le public était hystérique de joie. On avait chanté ça en finale. J’avais aussi chanté “Moon River”. Il y avait un côté fellinien dans cette soirée. Le lieu, les stripteaseuses avec des gros seins et des très grosses fesses. Ça plaisait beaucoup...” ajoute Arielle.

 

Force est de constater en écoutant la musique du duo et en conversant avec eux que la vie, comme la pop, n’est pas toujours qu’une affaire d’image, mais aussi de sentiment, d’admiration, de mélange qui prend où pas. Entre Nicolas Ker et Arielle Dombasle, la bienveillance et la complicité se ressentent dans leurs regards, et bien sûr dans leur musique, bien au-delà du cliché antagoniste que leur association pouvait laisser paraître…

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Interview et photos : Nicolas Vidal
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