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Harrison Arevalo, nouvelle idole

On ne compte plus les actrices et les acteurs révélés par Christophe Honoré depuis son premier film « 17 fois Cécile Cassard » sorti en 2001 : Louis Garrel, Léa Seydoux, Clothilde Hesme ou Paul Kircher pour ne citer qu’eux. Plus récemment, c’est au théâtre que Christophe Honoré nous a donné à voir des personnalités fortes : Marlène Saldana, Youssouf Abi-Ayad et Harrison Arevalo, d’abord dans la première version du spectacle « Les Idoles » en 2018, puis dans « Le Ciel de Nantes ». A l’occasion de la reprise des Idole au Théâtre de la Porte Saint Martin jusqu’au 6 avril, nous avons été plus que séduits par l’interprétation de Harrison Arevalo dans le rôle de Cyrill Collard, l’une des idoles du spectacle avec Jacques Demy, Hervé Guibert, Jean-Luc Lagarce, Bernard-Marie Koltès et Serge Daney, tous morts du Sida et que Christophe Honoré fait dialoguer avec bienveillance et vachardise. 6 morts bien vivants sous les traits de Marina Fois, Jean-Charles Clichet, Marlène Saldana, Paul Kircher et Julien Honoré qui se réincarnent en 6 corps porte-voix de leurs histoires, leurs rancœurs, leur humour, et dont le jeu se complète à l’unisson. Mais c’est par l’interprétation de Harrisson Arevalo que l’on entre le plus dans la vie qu’il reste de ces idoles, par son jeu physique et sa séduction naturelle, son accent colombien et son charme enjôleur, finalement assez proche de ce que l’on a aimé chez Cyril Collard lorsqu’adolescent, nous avions été éblouis par son charisme et son écriture, et par son unique film « Les Nuits Fauves », emblème de liberté qui nous semble problématique aujourd’hui, mais dont la pulsion de vie a irrigué nos nuits teenage. Nous avons donc été à la rencontre de Harrisson Arevalo pour en savoir un peu plus sur son jeu, son parcours, et sa collaboration avec Christophe Honoré.

 

Comment t’es-tu retrouvé sur le spectacle « les Idoles » en 2018 lors de sa création à l’Odéon ?

« Les Idoles » est le premier spectacle que j’ai fait avec Christophe Honoré. Je venais de terminer le Conservatoire National, et quand on en sort, on fait partie pendant 3 ans du jeune théâtre national qui est un système d’intégration à la vie professionnelle. On passe des auditions, l’Etat paie une partie des salaires des étudiants, et Christophe cherche parfois ses comédiens au TNS et au jeune théâtre national. Au départ, j’ai passé une audition pour le personnage de Koltès (créé par Youssouf Abi-Ayad puis repris par Paul Kirscher aujourd’hui), que je connaissais très bien, alors même que je connaissais très peu le travail de Christophe Honoré. Je me suis posé des questions au moment de l’audition, moi comédien colombien qui postule pour le rôle d’un auteur parisien, mais j’aime tellement Koltès que je voulais quand même tenter. Et puis l’audition de Christophe était intéressante. Il avait demandé aux comédiens de faire une propositions autour du VIH : quel était notre rapport au Sida, notre rapport artistique à la maladie, quels auteurs et quelles oeuvres nous avait marqué. Il se trouve que lorsque j’étais à la classe libre du Cours Florent, on avait travaillé autour de Jean-Luc Lagarce et de sa pièce « Juste la fin du monde », et j’avais joué un personnage d’amant qui parlait de tous ses coups d’un soir. C’était mon seul lien avec un auteur qui avait parlé du Sida. J’ai proposé ça à Christophe lors de l’audition pour le personnage de Koltès. Mais après l’audition, il m’a rappelé pour me proposer un autre rôle, que je ne connaissais pas et qui était celui de Cyril Collard, l’une des 6 idoles autour desquelles il travaillait pour la création de sa pièce. Il m’a dit que c’était un cinéaste qui avait fait un film qui avait eu un grand succès dans les années 90. Je me suis écroulé comme si c’était une mauvaise nouvelle alors que c’en était une très très bonne. C’était encore une bonne raison pour rester en France, après la Classe Libre, et après le Conservatoire National.

 

Tu as suivi un cursus théâtral plutôt classique en France, pourquoi as-tu eu envie de venir te former ici plutôt qu’en Colombie ?

J’avais commencé une école de théâtre en Colombie, à Bogota, et je n’avais aucun projet de venir en France. Le déclencheur a été une histoire d’amour. Mon amoureuse de l’époque voulait poursuivre ses études à Paris et elle est partie alors que j’avais décidé de rester au conservatoire de Bogota. Mais j’était très amoureux d’elle, donc j’ai tout lâché et je l’ai rejoint à Paris quelques mois plus tard. Je me suis dit que je pouvais être acteur n’importe où. C’est ma passion. Je suis arrivé en France comme baby-sitter au pair dans une famille d’accueil pour apprendre le français, la culture… Et au bout d’un an, j’avais le choix de repartir ou de faire des études ici, et je suis rentré au Cours Florent, dans la Classe Libre. J’aurais voulu avoir une réponse plus artistique à cette question, mais je dois bien avouer que c’est l’amour qui m’a fait venir à Paris, même si l’histoire n’a pas perduré…

 

Est-ce que tu avais déjà entendu parler de Cyril Collard avant que Christophe ne te propose de l’incarner et comment t’es-tu approprié son parcours, sa personnalité ?

Je ne connaissais pas du tout Cyril Collard, et Christophe Honoré ne me l’a pas présenté comme l’une de ses idoles mais comme quelqu’un qui pose un conflit. Lors de mes premières recherches, je suis bien sûr tombé sur le succès des Nuits Fauves, mais aussi sur « l’affaire » Cyril Collard. Que fait-on de cette image là ? On comprend vite que c’était quelqu’un de très égocentrique, enfantin, avec une créativité et une hyperactivité un peu mégalo mais très séduisante. Mais à aucun moment Christophe ne nous a dit ce qu’il aimait de ses idoles, c’était plutôt comme une rupture amoureuse avec chacun d’eux, et les conflits qui en découlent. Que pense-t-on d’eux quand on grandit, comment les défend-on ?  ​

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Ta manière de l’incarner passe par une formé de légèreté, d’humour, mais aussi une sensualité voire une sexualité assumée par rapport aux autres personnages plus intellectuels ou secrets.

C’est vrai que l’incarnation que j’en fait a une forme de légèreté par rapport aux autres. Mais c’est une réalité du plateau qui prend le dessus. C’est un spectacle avec 6 corps qui se retrouvent sur scène et c’est vrai que ce qui m’a attiré chez Cyril Collard, c’est sa vitalité. En terme d’image et de théâtralité. C’était assez facile pour moi de m’accrocher à ça, à quelqu’un qui veut exister. Dans toutes les impros qu’on a fait - car c’est un spectacle qui s’est écrit sur le plateau,- je m’accrochais à l’envie de vivre de Collard, ce qui pour moi pouvait justifier son égocentrisme, ses maladresses, et qui me donnait une forme de souplesse et d’amour des autres personnages même lorsqu’ils m’attaquent ou se moquent de moi. Il créé du lien entre les personnages. 

 

L’écriture de Cyril Collard a quelque chose d’assez naïf qui a beaucoup plu à la jeunesse des années 90, et ce sont en partie les adolescents qui ont porté aux nues « Les Nuits Fauves » contrairement aux autres personnalités de la pièce qui étaient considérés comme des intellectuels, à l’époque et à postériori. Est-ce que c’est quelque chose que tu as ressenti en découvrant son travail ?

Quand j’ai lu « Les Nuits fauves », j’avais 31 ans, et j’ai lu le livre avec un regard sans jugement ni critiques, comme je le fais avec tous mes personnages. D’avance, j’aime le personnage. En le lisant, j’ai été séduit par son esprit provocateur, et une vulnérabilité hyper assumée qui pourrait presque passer pour de la naïveté effectivement. Mais j’ai lu son premier roman, « Condamné Amour » avant de lire « Les Nuits Fauves ». Et j’ai tellement aimé le livre, le fait qu’il assume sa singularité, que ça m’a plu et c’est ce qui m’a accroché. On sent une urgence dans son écriture. Du coup j’ai proposé à Christophe qu’on mette dans la pièce les actions du livre dont on a transformé un peu le texte, et qui donne la scène de la fin de la pièce, avec les références à son voyage à Porto Rico dont il parle dans le livre et dans ses carnets. 

 

Les personnalités du spectacle sont évoquées sans qu’aucune ressemblance physique ou de genre ne soit a l’oeuvre. Comment t’es tu approprié le personnage Cyril Collard sans essayer de lui ressembler physiquement mais en cherchant une évocation dans laquelle on retrouve finalement ce que l’on sait de lui, à savoir une séduction sans limite ? 

J’ai voulu aller vers lui, et étant colombien, je me suis accroché à son voyage à Porto Rico. Quand on a commencé à travailler sur le projet en 2017/2018, je voulais vraiment aller à Porto Rico. Je n’ai pas pu y aller à cause du visa, car je n’avais pas encore la nationalité française. Du coup, j’ai du faire un voyage différent pour m’approcher de lui. Porto Rico représentait mon côté latin, c’était donc la moitié du chemin. J’ai toujours chercher à le défendre et à le comprendre et c’est son énergie qui est venue envahir ma façon de jouer. Il est dans la vie, dans une forme de légèreté qui a eu parfois tendance à me déstabiliser, à questionner ma capacité à m’engager, mon rapport à l’intime. Je pense que cela a amené beaucoup d’ouverture dans mon jeu, notamment dans la séduction. Il m’a aidé à assumer quelque chose que j’avais en moi. J’ai souvent été casté pour des rôles qui ont une consonance Latina, liés au désir, à ma capacité à jouer la sensualité, comme dans le film « Emmanuelle » d’Audrey Diwan qui cherchait quelqu’un qui puisse jouer le désir. Il y a quelques mois, à la reprise du spectacle, j’ai accepté cette partie de moi, et Cyril Collard m’offre un terrain de jeu ou je peux explorer le désir, ma capacité à plaire, à provoquer. 

Est-ce que tu sens une différence entre ta manière de l’incarner en 2018 et aujourd’hui ? 

Oui il y a une différence énorme. J’ai l’impression que je me sens plus en forme physiquement aujourd’hui, que j’ai plus de vitalité et d’énergie. Psychologiquement en revanche, j’ai du solliciter le regard de Christophe et de mes partenaires pour jouer à nouveau quelqu’un qui est vraiment dans la perspective de plaire, et de déplaire dans la séduction. C’est quelque chose qui correspondait plus à l’insolence de la jeunesse. Aujourd’hui j’ai quelques années de plus et le regard des gens m’importe plus qu’à l’époque. Et puis comme tout le monde, ces 6 ans ont été chargés en ruptures amoureuses, en mouvements qui m’ont fait questionner ma masculinité, l’intime, et je ne savais pas si j’étais prêt à le montrer à nouveau. Il m’a fallu deux semaines, et retrouver l’échange avec le public pour lâcher ça en me disant que c’était un jeu.

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Justement, tu joues beaucoup avec le public dans la pièce, en y prenant place pour une séquence qui évoque les Cesar.

C’est le seul moment ou j’ai le trac dans la pièce car je vois les gens. Il y a 6 ans, je demandais à des personnes du public s’ils voulaient venir sur scène, et systématiquement ils refusaient. Très vite j’ai compris qu’il ne fallait pas demander, même si aujourd’hui c’est plus compliqué avec le consentement. Et j’embrasse des gens dans le public comme s’ils faisaient partie de mon équipe. C’est un moment d’extrême complicité avec les spectateurs pour moi. Et puis j’aime ça jouer dans le public. Dans « Le Ciel de Nantes » qui est la seconde pièce que j’ai faite avec Christophe, je n’arrivais pas à entrer dans la pièce car je jouais un personnage rejeté par les autres qui peinait à entrer dans la fiction, et mon travail en tant qu’acteur était de trouver une solution pour y entrer, donc je rentrais par le public. 

Sur ce spectacle, comme sur d’autres de ses pièces, Christophe Honoré utilise l’écriture de plateau pour leur création. Comment cela se passe t’il concrètement ? 

Christophe fait un travail de dramaturgie complet à l’avance, avec un abécédaire qui contient des photos et des descriptions des personnages… Le décor de la pièce est construit à l’avance, ce qui fait que lorsqu’on arrive en répétition, on est déjà dans le contexte. Puis il nous explique ce qu’il souhaite et à partir de là, on fait des séances de travail, on lit des extraits de journaux, de romans, le tout axé sur des thèmes que Christophe nous donne, par exemple l’annonce de la séropositivité. On lit, on parle on regarde la documentation que l’on a. Par exemple les livres d’Hervé Guibert ou les pièces de Lagarce, mais aussi l’absence de documentation comme chez Jacques Demy ou chez Cyril Collard chez qui c’est une donnée à la base. Puis on monte sur le plateau pour improviser. Il ne se passe rien au début, et puis on s’accroche à des choses insignifiantes. Christophe nous ramène vers l’aveu, et au bout de quelques heures, il se passe quelque chose. Tout est filmé puis retranscrit, et Christophe fait un travail de montage, il coupe, il modifie, il rajoute des éléments… Il nous demande aussi des choses précises, comme à Marlène Saldana d’apprendre les claquettes pour une scène précise. Moi il m’a demandé de parler des César, donc j’ai écrit un discours qu’il a réécrit ensuite. 

 

Les comédiens sont parties prenantes de l’oeuvre de création, ce qui n’est pas si courant finalement… 

Complètement. Ce qui est étonnant, c’est que depuis 10 ans, je ne travaille que sur des projets avec une écriture de plateau, comme si ma manière de créer correspondait à une façon de faire. Mais j’ai aussi joué des pièces déjà écrites et mon imaginaire fonctionne autrement. Ce qui me rend créatif chez Christophe, c’est la contrainte des improvisations. Quand c’est écrit, ce qui me rend créatif c’est la contrainte du texte. Ce qui me donne envie de m’envoler, c’est de sortir du cadre. Le livret quand on joue avec Christophe arrive assez tard et nous devons le réapprendre. Mais on l’a déjà en bouche. Nous avons la possibilité de le bouger si une blague fonctionne mieux où qu’une scène marche moins bien. 

Est-ce que tu sens que tu joues différemment en espagnol ou en français ? 

J’ai très peu joué en Colombie. J’ai commencé une école là-bas qui était très axée sur le corps, sur la méthode Stanislavsky donc très physique. Tous les matins on avait un cours de danse ou d’échauffement par le corps, des cours d’acrobatie. Quand je suis arrivé au Cours Florent, j’étais le seul qui arrivait en jogging, pieds nus, étiré, prêt à faire du sport alors que tout le monde était habillé normalement et fumait des clopes. Cela m’a pris quelques mois finalement pour faire comme eux. Je me suis adapté, j’ai enlevé mes habits noirs et j’ai mis des chaussures. Mais ce travail du corps est ancré en moi. Mon rapport aux autres est physique, j’aime regarder les autres dans les yeux. Du coup j’ai multiplié mon travail. Je continue à le faire par moi-même mais quand je suis avec les autres acteurs, j’intellectualise plus, je travaille à la table comme tout le monde. Mais ma cuisine intérieure, c’est de rajouter du corps à tout ça. Christophe l’a bien compris et a su l’intégrer. En Colombie, je me considérais comme un danseur/acteur. La France m’a plutôt amené une forme de naturalisme, à cultiver ma personnalité dans le jeu. Le côté personnage est moins présent ici. On joue plus des situations. C’est ce mélange des deux qui me définit aujourd’hui.

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"Les Idoles" de Christophe Honoré, jusqu'au 6 Avril au Théâtre de la Porte Saint Martin

Interview et photos : Nicolas Vidal
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