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Il y a des artistes qui impressionnent parfois plus que d’autres. Question d’attitude, de personnalité, de réputation parfois. Jean Felzine fait partie de ces artistes, probablement à son insu d’ailleurs. On ne sait pas toujours qu’on impressionne, même après une carrière plus qu’honorable en bande (avec Mustang), en duo (avec Jo Wedin) et maintenant en solo avec un premier album, « Chord Memory » sorti en février dernier après un premier EP, « Hors l’amour », plus que réussi. Mais finalement ce qui impressionne le plus, c’est la droiture pop qui anime Jean Felzine. Tous les chanteurs ne réfléchissent pas à leur environnement, à leur création, et ânnonent un discours plutôt convenu sur leur travail. Avec Jean Felzine, on est sûr de ne pas avoir la soupe promotionnelle déjà écrite dans le communiqué de presse quand on le rencontre, mais on est aussi sûr d’écouter des titres déroutants, audacieux, qui ne plairont pas à tout le monde, mais qui seront à coup sûr incroyablement bien écrits et chantés. C’est d’ailleurs toute la force de Jean Felzine et de cet album inaugural en solo sur lequel on trouve des chansons très touchantes sur l’infertilité masculine (« A blanc ») ou la gloire qui se fait attendre (« Ma gloire ») qui côtoient des titres sur des sujets plus dans l’air du temps (« Ordi dis-moi »). Nous avons donc rencontré Jean Felzine pour une conversation autour de ses nouvelles chansons mais aussi des chemins de traverse pop qu’il emprunte, et de musique. Comme toujours.

 

Tu sors ce premier album solo en auto-production comme on dit, malgré une carrière déjà conséquente avec Mustang et le duo que tu formes avec Jo Wedin.

Parfois j’avoue c’est un peu usant. Je sors souvent des disques, pas trop chers, avec une promo, je passe à la radio de temps en temps, mais il n’y a aucun label qui est prêt à mettre un peu d’argent. C’est un peu épuisant d’envoyer à tout le monde chaque nouveau projet. Après, il se peut que les gens n’aiment pas ma musique, ou bien qu’ils n’ont plus de sous. On n’est pas dans un métier ou il y a une sécurité financière, mais il y a des artistes qui arrivent à sortir régulièrement des disques sans que ce soit à chaque fois un sacerdoce. Ils ont au moins la sécurité de se dire que ce qu’ils enregistrent, ils vont pouvoir le sortir. J’aimerais bien que ce soit mon cas. 

 

Est-ce que les artistes d’aujourd’hui, en tout cas une large majorité d’entre eux, ne paient la course à la nouveauté qui est devenue la norme dans l’industrie musicale et les médias en ligne, avec peu d’engagement des auditeurs car il y a malheureusement trop d’offre ?

Moi je n’en veux pas aux auditeurs car la pop, telle que je la vois, reste une musique commerciale qui est censée être dans l’air par la radio, et les gens attrapent où non la chanson. L’idée d’être vraiment mélomane avec la pop, c’est un peu bizarre. J’en veux peut être plus aux labels et aux programmateurs de festivals de ne pas prendre de temps en temps un petit risque. Avec Mustang, on a fait uniquement la fête de l’Huma car Edgar de Zebrock, que je salue, nous a programmé. Mais c’est vrai que pour nous, un gros festival nous aurait propulsé un peu plus loin avec le dernier album. Mais il y a un espèce de plafond de verre qu’on ne dépasse pas. Comme pour la télé. William, mon attaché de presse me transmet souvent qu’à la fois, je ne suis pas une nouvelle tête, et pas assez gros pour y être invité.  Mais d’un autre côté, c’est un peu plus clair ce que l’on dit sur moi. Le fait d’avoir des sorties régulières permet aux gens de voir un peu plus qui je suis et ce que je fais, que ce soit en solo, avec Jo Wedin ou Mustang. Et il y a un certain respect qui s’est installé, ce qui n’est pas rien. Ça fait plaisir, et je lis de moins en moins d’erreurs à mon sujet, ce qui n’est pas mal. 

 

Sortir un projet solo, est-ce que c’est différent ? Est-ce que ce ne serait pas plus clair car tu es seul sur le projet ? 

Peut-être. C’est vrai que sur ce disque, c’est essentiellement des morceaux lents. De la chanson française électronique. Est-ce que c’est plus facile ? Je ne sais pas. A chaque fois, je lis que je suis un ex-Mustang parce qu’en France on a du mal avec l’idée des « side project ». Moi j’en veux pas aux gens qui viennent en concert et qui me demandent pourquoi je ne joue pas tel morceau de Mustang, je leur explique juste que ce sont deux projets différents. Et puis ce n’est pas à eux de creuser. Par contre, les inexactitudes  journalistiques, c’est plus embêtant, car en deux clics on a les infos. Mais peut être que le côté chanteur solo, c’est plus clair. En France, on est plutôt un pays d’artistes solo que de groupes.

La plus grosse différence, c’est que là, j’ai tout fait tout seul. Je l’ai produit seul avant de le faire mixer par Adrien Durand de Bon Voyage Organisation et masteriser par Chab, mais c’est vraiment l’aboutissement d’un processus qui a commencé avec mon premier EP solo. Je voulais apprendre à enregistrer seul et voir si j’étais capable de le faire entièrement seul. Je dis partout que c’est mon projet de fin d’études, mais je le vois un peu comme ça. C’est un petit jalon. 

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C’est une envie que tu avais, au delà du challenge ? 

Oui, quand j’ai commencé à enregistre mon EP « Hors l’amour », j’ai commencé à travailler avec Xavier Thiry et Apollo Noir, des gens que j’aime beaucoup, et il reste des traces de ces collaborations sur l’EP, mais j’avais quand même envie d’essayer de produire seul. Et puis j’ai fait un stage d’apprentissage pour essayer de ne pas faire trop de conneries, et dès fin 2019, j’ai commencé à enregistrer seul. Je l’ai laissé un peu en chantier jusqu’au confinement, puis je l’ai terminé. Je l’ai envoyé à tout le monde sans succès, donc j’ai attendu d’avoir une Sacem suffisante pour le faire masteriser et le sortir. 

 

Est-ce que cela t’a donné envie de retourner dans des projets plus collectifs finalement où est-ce que tu as pris goût à la solitude musicale ? 

Si je ne faisais que ça, je serais malheureux. Il se trouve que parallèlement à la sortie du disque, on enregistre de nouvelles choses avec Mustang, un album qu’on a commencé il y a un an de manière éparse car Johan vit à Clermont et Nico Musset joue avec tout le monde donc est très pris. Je suis content de l’avoir fait, et s’il y a un prochain - ce qui n’est pas écrit - tant mieux, mais je suis plutôt un mec de groupe. Aller dans une salle pour jouer tout seul, être seul dans les loges, c’est pas super. C’est quand même mieux d’être à plusieurs. Là, ce qui était bien, c’est que j’avais la main sur l’ordi, que personne n’est intervenu sur la production, donc j’étais seul à décider. Je m’étais quand même fixé des limites car le piège peut être de ne pas s’arrêter et de ne pas mettre de point final. Donc j’avais fixé des dates butoirs pour terminer. Mais c’est un truc de tempérament aussi. Je ne suis pas archi perfectionniste et c’est pour ça que j’arrive à sortir des projets régulièrement. Quitte à ce qu’il y ait des petits regrets. Le chef d’oeuvre que l’on a dans la tête, personne ne l’entendra. Il y a des artistes très talentueux qui ne sortent rien à cause de ça. C’est terrible. Ce qui ne sort pas n’est pas terminé. 

 

Tu parlais de chanson électronique, est-ce que le fait d’être seul avec ton ordinateur t’a transformé en homme machine ? Il reste un peu de guitares, mais tant que ça au final. 

Non effectivement. La guitare est vraiment l’élément central de mes autres projets, mais là, c’est un élément d’arrangement comme un autre. En ce qui concerne l’ordinateur, j’insiste vraiment sur le fait que la plupart des chansons ont été construites avec des synthétiseurs externes. J’utilise l’ordinateur comme un magnétophone. Le matériel que j’ai utilisé, comme un séquenceur monophonique, limitait dans le bon sens les options que j’avais. Cela réduisait ma palette de sons et du coup c’est le projet le plus cohérent que j’ai fait. J’ai parfois la tentation de faire des choses un peu disparates, et là je trouve que c’est très cohérent. 

 

Je parle aussi de ça car dans les textes de l’album, il y a beaucoup de références aux jeux-vidéos, à la vie virtuelle… Est-ce que c’était conscient ? 

Un petit peu et en même temps, la chanson « Ordi, dis-moi » est une vieille chanson. On avait essayé de l’enregistrer avec Mustang à l’époque de « Ecran Total » en 2013. C’est une chanson que j’ai toujours aimé. Ayant cette chanson là, j’avais envie qu’il y ait d’autres chansons sur ce sujet là. Parler de mon côté geek qui surprend parfois les gens. Cela parait antinomique d’aimer à la fois les chanteurs des années 50 et les jeux vidéos, mais c’est comme ça. 

 

La musique est dorénavant un métier de geek finalement, car il faut à la fois savoir écrire des chansons mais aussi savoir s’enregistrer, savoir se servir des machines…

On peut toujours faire de la musique comme il y a 70 ans, aller dans un studio et se faire enregistrer, mais moi, je ne suis pas technophobe. Ça m’intéresse. Il y a toujours eu des éléments technologiques sur les disques de Mustang, des trucs un peu anachroniques par rapport à l’esthétique des musiques qu’on pouvait aimer. On a toujours aimé jouer avec ça. 

 

Ce qui ne change pas, c’est la priorité à la mélodie dans tes chansons. 

C’est un truc de méthode. Je compose toujours mes chansons avant de les arranger. Il se peut qu’un riff de synthé comme sur la chanson « Doudou » amène une chanson, mais je m’accroche à ma méthode. Je ne pense pas que ce soit la meilleure, mais c’est la mienne. Une chanson, il faut qu’elle se tienne avec des accords, un texte, une mélodie, de la façon la plus épurée possible, et ensuite, je cherche comment je peux la produire. C’est vraiment une méthode désuète, mais c’est celle qu’avaient les mecs du Brill Building (Bâtiment New Yorkais qui abritait dans les années 60 les auteurs, compositeurs et musiciens qui inondaient le marché de la musique). Il y avait l’étape de la composition, puis l’étape de l’orchestration. Les chansons dont le texte et la mélodie arrivent en même temps sont souvent les meilleures. Cette méthode me permet de me dire que mes chansons tiendront toujours debout si un jour j’en ai marre des machines. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est la force intrinsèque d’une chanson. 

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Je sais que tu es un grand admirateur de Polnareff qui a démarré dans les années 60 avec des chansons très orchestrées avant de passer aux machines dans les années 80 avec des chansons comme « Dans ma rue » ou « Goodbye Marylou » qui évoquait déjà les rencontres virtuelles…

C’est vrai qu’il a fait des chansons sur le sujet. Il y a quelques années, j’enregistrais des guitares pour un album de Jenifer aux studios ICP à Bruxelles, et il y a un magnifique piano dans la salle de repos. Et moi quand je vois un piano, j’y vais et je commence à jouer « Love me, please love me ». Et le staff du studio, probablement excédé par Polnareff qui avait passé de longs mois à enregistrer m’en ont dissuadé. Il parait qu’il avait fait installé la fibre dans le studio car il est très technophile. Ça m’a fait marrer. Mais ce n’est pas pour dire du mal de lui car c’est quelqu’un que j’adore. Il fait partie des 3 où 4 artistes français que j’admire le plus.

 

Il a été assez décrié - où un peu moins respecté - quand il est passé aux machines avec des chansons comme « Tam-Tam l’homme préhistorique », qui sont considérées comme des chansons mineures. 

Il y a une chanson que j’aime beaucoup de cette époque, c’est « Radio ». Mais ça a été un tournant pour tous les artistes des années 60 l’arrivée du numérique. Il y a peut être des trucs qu’on a rejeté qu’on va réhabiliter. Qu’est ce qui fait qu’on trouve que certaines de ces choses ont mal vieilli ? Sur mon disque, j’avais presque ce fantasme de HI-FI 80. J’adore The Blue Nile par exemple. C’est un groupe écossais du milieu des années 80, avec Paul Buchanan au chant. C’est une pop-soul très sophistiquée, très arrangée, très électronique. Et je crois même qu’ils étaient sponsorisés par une boite de HI-FI. J’aime bien « Avalon » de Roxy Music aussi. J’avais des copains qui ne comprenaient pas,  car je suis fan de Suicide, que je ne fasse pas des choses plus sales avec les machines. Mais moi ça ne m’intéresse pas de faire du sous Suicide, car la formule est tellement marquante que c’est assez facile à reproduire. Et puis je ne fais pas tellement de musique répétitive. 

 

Pour faire la jonction entre tes premières amours rock et les années 80, tu reprends un titre de Roy Orbison, mais dernière période, avec « Cette fille est un mystère », adaptation de « She’s a mystery to me » qui date de la fin des années 80. 

C’est l’adaptation qui m’est venue le plus facilement. J’avais envie de faire une version encore plus FM 80 que la sienne. Ce n’est pas du tout la chanson que je préfère de lui. Mais j’ai écrit l’adaptation assez vite. C’est un très beau texte. Mais c’est un vrai titre de jonction, car c’est le premier que j’ai enregistré après l’EP, et la chanson parle d’amour alors que le reste de l’album pas vraiment. 

 

Sur quasiment tous les titres tu dis « Je ».

Ce n’est pas spécifique au solo car c’est quasiment toujours comme ça. Je me considère avant tout comme un chanteur, donc quand j’incarne, c’est plus simple de dire « Je ». Etre chanteur, c’est incarner quelque chose, soit quelque chose que j’ai vécu, soit un texte où je me mets à la place de. C’est peut être une limite de mon écriture, mais je parle quasiment tout le temps à la première personne. 

 

On oscille entre deux parties sur le disque : l’une très premier degré avec des chansons comme « A blanc », et une autre avec plus de recul où l’on ne sait pas si parles de toi, même di tu dis « Je », comme sur « Fanfiction ». 

On ne va pas se mentir, moi je travaille chanson par chanson. Je ne sais pas vraiment à quoi va ressembler le disque au final, en tout cas pas avant  5/6 chansons. Après c’est le tracklisting qui va organiser ça pour qu’il y ait une illusion de narration. Je me suis rendu compte qu’il y avait deux familles de chansons dans le disque : les trucs de « geekerie » et des choses plus perso ou je parle de ma bite en gros. Parfois un peu les deux. Mais les chansons doivent tenir indépendamment. Je n’ai fait que des disques qui étaient des recueils de chansons. Et puis les 3/4 des gens, ils écoutent la musique comme ça. D’après mes statistiques Spotify, ils écoutent surtout la reprise de Roy Orbison. Tant mieux pour Bono qui a écrit l’originale. 

 

Sur 9 titres, tu as décidé de mettre 2 reprises, celle de Roy Orbison donc, mais aussi une chanson d’Aristide Bruant.

Pour moi, l’interprétation d’une chanson passe avant le reste. C’est même au-dessus de la composition. Je trouve, surement parce que je sais le faire, que ce n’est pas si compliqué de composer une chanson. Par contre, être un grand interprète, comme Aretha Franklin, Franck Sinatra, ou Elvis, je trouve ça plus grand que d’être un grand songwriter. Si Bob Dylan sort un disque avec aucune chanson qu’il n’a écrite, ce sera quand même un album de lui. Et ce ne sera pas très important. On peut le voir comme une reprise, mais il y a une époque où sur les disques, il y avait des tas de chansons qui étaient des reprises, et ce n’était pas très important. Maintenant, les deux chansons en question correspondent à deux aspects que j’aime bien dans la musique. D’un côté Roy Orbison qui est mon chanteur préféré, et de l’autre une chanson à l’écriture crue avec un texte qui a gardé beaucoup de force. Je n’écris pas de cette manière là, mais je peux parfois écrire de manière un peu crue aussi. 

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« Chora Memory », album disponible

https://jeanfelzine.bandcamp.com/album/chord-memory

 

En concert avec The Rodéo le 20 Avril à Lyon au Sonic Lyon.

https://bit.ly/3mwi0GB

Interview et photos : Nicolas Vidal
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