Comment continuer à converser avec des artistes à l’heure où ceux-ci n’ont plus vraiment besoin des journalistes pour exposer leur travail et dialoguer directement avec leur public, ou leur audience comme on dit de manière triviale aujourd’hui ? Est-ce que la fidélité envers un artiste doit se faire envers et contre tout, et inversement ? Chez Faces Zine, nous n’avons pas vraiment tranché, mais force est de constater que retrouver Morgane Imbeaud pour la sortie de son nouveau disque « The Lake » après « Amazone » en 2020 nous a fortement ému. D’abord parce que la dernière fois que nous l’avions vu en vrai fut la veille d’un confinement généralisé. Puis parce que la vie, cette chienne, ne l’a pas épargnée par la suite, et donc nous sommes ravis d’avoir de ses (bonnes) nouvelles musicales autant que de la voir sur pied. Toujours la même mais changée, beaucoup moins frêle mais toujours aussi douce, et surtout avec dans sa besace pop un disque ample, rugueux, enneigé et mélancolique. Toujours en duo avec Robin Foster à la production, « The Lake » a le mérite de ne pas choisir entre folk éthéré (le sublime « Fire » en duo avec Lonny, « The Lake »), chanson électronique (« Seule ») et Torch Songs au piano, et c’est tant mieux. Guidés par l’émotion de son timbre et la rugosité des arpèges crasseux des guitares, nous avions juste envie de la retrouver afin de lui soumettre quelques mots et noms, de l’embrasser, et de vous transmettre notre envie de l’écouter.
Le Lac / The lake
Cela m’évoque le lac Servière en Auvergne, ma région. C’est mon petit refuge, depuis toujours. Quand je suis dans cet endroit qui n’est pas sauvage mais pas non plus hyper touristique, je passe un moment coupée du monde. Il n’y a pas de réseau, personne ne peut te joindre, et cela permet d’avoir un moment complètement à soi, que personne ne peut te prendre. Et j’adore ça. Et puis quand tu es Clermontois, tu as facilement un lien avec cet endroit. Murat disait que c’était le sien par exemple.
J’ai décidé d’appeler l’album comme cela au dernier moment. Je me suis rendu compte à postériori que je parlais beaucoup d’eau dans les chansons du disque, alors que j’ai la phobie de l’eau. Je suis incapable de nager la tête sous l’eau par exemple. Mais je trouve qu’il y a quelque chose d’assez onirique dans cet endroit en particulier et je crois aussi dans l’album. C’est comme le refuge de Virginia Woolf, même si je n’ai pas pensé directement à elle dans l’écriture de l’album. Mais elle est peut être là quelque part, dans mon inconscient.
Jean-Louis Murat
Très large sujet. Jean-Louis a toujours été là, depuis que je suis née. D’abord de manière indirecte car il était très ami avec Alain Bonnefont qui est musicien, et qui a vécu en colocation avec mes parents avant ma naissance. Il a fait un peu de musique avec mon père à l’époque. Ensuite, j’ai beaucoup écouté son album « Cheyenne Automne » quand j’étais plus jeune, album que j’adore. Et puis je l’ai rencontré et j’ai eu de la chance car avec moi, il a toujours été super adorable malgré son caractère légendaire. Il m’a toujours prise sous son aile. Il ne nous a pas particulièrement aidé à l’époque de Cocoon, car il critiquait tout le monde. Mais je pense que le fait d’être une fille a aidé notre collaboration. Il était d’une autre génération pour qui le féminisme n’était pas très bien vu alors qu'il a collaboré avec beaucoup de femmes. Il venait d’un milieu paysan ou la douceur n'était pas de mise. D’où son côté rugueux. Mais il savait aussi être tendre.
C’est un beau repère pour moi et j’ai eu énormément de chance de le rencontrer. Il m’a beaucoup aidé sur mon album « Les songes de Léo ». Et puis également sur des décisions plus personnelles. Son avis m’a été très précieux. J’ai des souvenirs de fous rires quand on a enregistré son album « Travaux sur la RN89 » dans lequel je chante avec lui. J’avais fait des voix sur son disque « Charles et Leo », et puis on s’était perdu de vue. On s’est retrouvé à un concert d’Eylisian Field de qui il était très proche, et il m’a proposé de refaire des voix pour lui. Et on a fait plein de projets ensemble après, même sur scène ou je faisais des claviers. J’avais l’impression de ne pas avoir le niveau mais il a toujours été très encourageant. Et puis il a écrit des chansons sur « Amazone » mon précédent album. Il a permis des liens avec beaucoup de musiciens de la région.
Duo(s)
Instantanément je réponds Chris Garneau et Lonny qui chantent sur mon nouvel album. J’ai souvent travaillé en duo. Je ne sais pas si c’était par manque de confiance en moi au départ, mais chanter en lead n’était pas quelque chose que j’avais envisagé. Je voulais faire de la musique à l’image. J’avais l’impression qu’être chanteuse, c’était assez pénible. Moi j’aime les mélodies, c’est cela qui me touche en premier dans une chanson, pas les textes. Et puis il y a eu l’aventure Cocoon. Mais même après, sans le faire exprès, j’ai eu des projets à plusieurs, avec Peaks, Elias Driss… Sur mes albums j’ai fait des duos, avec Marina Hands notamment. Je trouve ça hyper intéressant. En tant qu’artiste, on a besoin de partager, que ce soit avec le public ou avec d’autres artistes. J’aime les gens, les rencontrer, et quand je les aime bien, je trouve qu’il n’y a rien de mieux que de chanter ensemble. Après, il faut qu’il y ait une valeur artistique autre que celle de l’amitié. J’adore chanter avec Chris Garneau, mais je voulais que cela lui plaise de chanter de nouveau avec moi sur un titre de l’album. Moi je voudrais qu’il chante sur tous mes disques. C’est ma petite béquille. Comme avec Elias Driss avec qui j’aimerais chanter de nouveau. Pour le duo avec Lonny, je trouvais que c’était important de chanter avec une autre chanteuse. Dans la musique, j’ai clairement été avec des garçons pendant très longtemps. Le féminisme dans la musique n’était pas de mise et on nous mettait souvent en concurrence les unes avec les autres. C’était très fatigant. J’aime beaucoup les garçons, mais du coup sur « Amazone » j’ai voulu demander à une femme de faire un duo. J’ai demandé à Marina Hands, qui a accepté. Lonny, on s’est rencontré grâce à Elias Driss. Elle était venue chanter une chanson de Simon and Garfunkel pour notre date au Café de la Danse à Paris. Puis on s’est retrouvé avec Mégaphone Tour et je suis hyper fan de son travail. Sa chanson « Incandescente » me suis depuis que l’ai découverte. Je la trouve trop belle. Et puis on s’entend super bien. Elle a une voix très différente de la mienne mais je trouve qu’on s’accorde bien.
Robin Foster
Encore un autre binôme. On travaille ensemble sur mes albums. On s’est rencontré via notre ancien tourneur qui a pensé que cela pourrait fonctionner entre nous. On commencé à s’envoyer des chansons à distance et déjà, moi j’adorais ce qu’il faisait, ce côté un peu Archive, saturé, des choses que je ne sais pas faire. On a communiqué pendant longtemps, on est devenu très proches, et ce que j’aime par-dessus tout par rapport aux gens de ce milieu, c’est qu’il ne cherche pas à mettre son ego partout. Notre collaboration sur ce disque s’est donc faite à distance, d’autant plus que j’ai eu des soucis de santé entre temps. Et dès que j’ai pu être en état de me déplacer, je suis allée chez lui au fin fond de la Bretagne, et la session qui devait durer 5 jours en a duré le double. C’était génial, on enregistrait tout le temps. C’était très familial. Ce que j’aime avec Robin, c’est qu’on a pas besoin de trop parler. On a vraiment co-composé l’album ensemble car je ne saurais pas dire qui a fait quoi dessus. Il a fait un travail énorme au niveau des arrangements. C’est tout ce dont je rêvais.
Musique Thérapie
Pour moi la musique est une thérapie. Ce que j’ai voulu faire à travers cet album et les clips qui en découlent, c’est installer une atmosphère particulière, lente, feutrée, mais avec une certaine tension, comme la boule que tu ressens au fond du ventre, qui fait mal, mais que tu aimes bien parfois. Il y a des fois ou je mets des émotions en musique car je ne sais pas comment les décrire. Et en même temps, je n’ai pas envie de trouver les mots justes pour les décrire car c’est ce qui me pousse. Là où c’est une thérapie, vu que j’ai passé plusieurs mois en clinique, c’est que tu peux développer des manières de guérir à travers elle. J’ai développé des ateliers sur l’empathie, je me forme en Programmation Neuro Linguistique, et ça nourrit énormément ma façon de composer, les sujets que j’ai envie d’aborder. Dans l’album, il y a des chansons assez longues, on prend le temps de s’y installer, et on peut y trouver de la rage, de la tristesse, mais aussi de la joie. Et souvent on ne nous laisse pas le temps de se plonger dans ces émotions-là. La musique est partout. Elle guide tes émotions dans les films d’horreur. C’est très puissant. Tout le monde y a accès. C’est du pur plaisir. Qui peut être un plaisir mélancolique. Et la musique, qu’elle sorte ou pas, qu’elle ait du succès ou pas, personne ne peut t’empêcher d’en faire.
Sage
Sage, c’est ce qu’on pourrait percevoir de ma personnalité. Et c’est le titre d’une chanson de l’album. J’ai toujours voulu avoir une image de petite fille parfaite, d’être perçue comme quelqu’un de gentil. Mais la perception de la gentillesse est dorénavant vue comme une chose négative. On attend toujours de moi que je sois sage, que ce soit dans les projets musicaux que j’ai eu, dans mes relations avec les gens. J’ai décidé de dire tout ce que je pense, en essayant d’être le moins maladroite possible et respectueuse, mais je ne peux plus être seulement le joli pot de fleurs. Il y a des injonctions à suivre les normes, surtout dans un métier de représentation, et j’en avais marre. On me demandait toujours de filtrer mes pensées, de ne pas dire certaines choses, et je n’ai plus envie de lutter contre moi ou ce que je pense. Je suis toujours douce, mais je ne suis pas une petite chose. Et c’est ce que je voulais un peu dire dans la chanson. Ce n’est ni revanchard ni conquérant. Et puis ça se traduit dans le côté rugueux du son de l’album qui sort du côté folk avec lequel on m’a connu. Je ne fais pas du rock non plus, j’ai une petite voix douce, et je compose avec. Cela peut être une protection aussi d’avancer masquée.
Album "The Lake" disponible.