CONCERT : KEREN ANN A 25 ANS

Il est toujours très touchant de grandir avec un.e artiste. Chaque décennie de sa vie a pu être accompagnée par un chanteur, une chanteuse, un film, une actrice, un sportif. Dans mon cas, si je me réfère aux chanteuses que j’aime, je peux dire que Lio a accompagné la première dizaine de ma vie, puis Vanessa Paradis, et un peu plus tard Alexia Gredy et Clea Vincent entre autres.
Mais la chanteuse qui a vécu avec moi pendant la deuxième moitié de ma vingtaine fut sans conteste Keren Ann. Son premier album, « La biographie de Luka Philipsen » sorti en 2000 a accompagné mon premier mouvement d’indépendance : quitter le giron familial pour grandir à Paris d’où je ne suis jamais parti. Cette alors jeune femme aux yeux noir et au sourire timide chantait la solitude pop avec un brin de nostalgie qui allait très bien avec la perte de mon enfance pour un ailleurs bienvenu. Puis il y eut « La disparition », un deuxième album parfait, puis le passage à l’anglais avec « Not going anywhere », quelques chansons très belles piochées de ci de la, et puis on s’est un peu perdu de vue. J’avais élu d’autres plumes, d’autres voix, même si à la faveur d’un « Lay your head down » ou d’un « My name is trouble », Keren Ann me rappelait qu’elle était là et qu’elle écrivait toujours d’aussi bonnes chansons.
Puis hier soir, dans le cadre « Fragile » du théâtre Zingaro où se tient le festival du même nom, Keren Ann a fêté ses 25 ans discographiques. 25 ans, c’est l’âge de l’émancipation et du premier bilan et force est de constater qu’il est plutôt très positif. Si l’on faisait la comptabilité de la carrière de Keren Ann, 8 albums studio, un album avec le quatuor Debussy, des musiques de films, des chansons pour Henri Salvador, Emmanuelle Seigner ou Sylvie Vartan, des reprises de Françoise Hardy avec Doriand ou d’Alain Bashung, et tout ceci remplit bien un quart de siècle.
C’est ce qu’elle nous a prouvé hier soir, seule sur la piste avec ses guitares, un piano, et un micro tombé du ciel comme un clin d’oeil au clip d’« Osez Josephine » de Mondino, un dos nu sublimé par les lumières aux ambiances feutrées et une voix somptueuse, en pleine mesure de ses effets et d’une justesse à couper le souffle. Car du souffle il en fallait pour évoquer une carrière qui est passé d’une pop française sophistiquée (« Sur le fil », « Ailleurs ») au blues rugueux de « Strange Weather » en passant par la douceur des titres écrits pour Salvador (un magistral « Faire des ronds dans l’eau ») et des nouveaux titres à venir sont le magnifique « La sublime solitude » qui vient de sortir et qui promet un nouvel album inspiré par Paris de toute beauté.
Alors bien sûr, le fan de la première heure aurait parfois fait une setlist différente, on a entendu quelqu’un crier « La disparition » à la fin du set, et c’est vrai qu’on aurait bien aimé l’entendre, de même que « Seule », un premier single qui nous avait tant séduit. Mais l’on sait combien les chansons de jeunesse peuvent parfois sembler encombrante pour leurs auteurs, et notre cœur Teenage a malgré tout succombé à l’écoute d’un « Que n’ai-je » magistral (il faut l’avouer, notre titre préféré de la discographie de Keren Ann) et à la prestation la chanteuse, sûre de ses moyens musicaux (instrumentiste hors pair) et d’une légèreté nouvelle sur scène qui nous a donné envie de replonger avec elle pour les 25 prochaines années. Son prochain album s’appelle « Paris Amour », et on l’aime déjà.

Texte et photos Nicolas Vidal
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