La pop et les chics filles
À l’initiative de la chanteuse Fleur Offwood, s’est tenu - en partenariat avec Les Femmes s’en mêlent - du 2 au 8 août un festival pop et solidaire qui a vu la fine fleur des nos chanteuses pop Indé ( Fleur Offwood, Tin, Cléa Vincent, Eskimo, Yvonne La Nuit, Ada Unn, et Pauline Paris) chanter pour des personnes qui ne peuvent pas forcément se déplacer dans nos salles. Personnes en Ehpad, en foyer pour mineur.e.s isolé.e.s, personnes handicapées, cette fois la pop est venue à elles ! Reportage photo sur le concert solidaire et enchanteur de Fleur Offwood au Foyer Kellermann à Paris et sur ce festival pas comme les autres avec les impressions de Cléa Vincent, Yvonne La Nuit et Fleur Offwood.
Un lundi après-midi à 14h30, il est rare d’assister à un concert pop. Sauf en Festival. Le foyer Kellermann qui a pour vocation d’offrir un lieu de vie permanent à des personnes adultes en situation de handicap mental ou psychique, s'apprête à accueillir une chanteuse pop pour le premier concert d’un festival pas banal, ou pour une fois, des artistes viennent à eux, en toute humilité, pour partager un moment joyeux et festif. “Quand j’ai appris que la Mairie de Paris cherchait à soutenir des projets de concerts pour l’été (Un Été Culturel à Paris) j’ai proposé à mon label associatif Les Gens Sympas de tenter cette aventure que Les Femmes s’en Mêlent ont suivie avec enthousiasme” nous raconte Fleur Offwood, créatrice de chansons, musicothérapeute et danse thérapeute mais aussi bénévole dans une association d’aide aux réfugié.es. “L’idée d’inviter six amies à chanter sur sept jours dans des lieux d’accueil et de soins a émergé d’emblée, parce qu’on sait à quel point ces personnes ont énormément besoin de musique, live qui plus est. Et l’idée que ce soit par des femmes artistes aussi : la transversalité créant une certaine connivence tacite («Ah toi aussi le système te met régulièrement de côté?»).”
De loin, on a souvent l’impression que les artistes sont plutôt autocentrés, un peu en marge des réalités sociales, les grandes causes qui font appel aux stars mises à part, alors que beaucoup d’artistes font finalement beaucoup de choses sans le revendiquer pour autant dans un plan marketing bien huilé, comme Cléa Vincent qui le fait depuis plusieurs années : “ Ma première expérience de concert solidaire eu lieu dans un hôpital pour enfant. A l’époque j’étais à l’école ARPEJ, école de jazz à Paris dans le 10ème arrondissement. On avait joué un répertoire Rythm&Blues devant les enfants malades, Sam and Dave, Marvin Gaye, Stevie Wonder… C’est comme si c'était hier tant l’expérience m’a marqué. J’ai eu la sensation d’apprendre de ce public autant qu’on avait à leur apporter. Une leçon de vie en somme. J’ai monté ensuite des projets musicaux avec des classes d’autistes, on dit classe Ulys, qui m’ont donné beaucoup de force et d’inspiration tant ils sont touchants dans leur rapport au monde, hyper sensible…”
Idem pour Yvonne La Nuit dont la carrière aurait pu être tout autre avant de chanter avec AIR où Mathias Malzieu : “Cela a toujours été difficile pour moi de choisir entre mon métier de musicienne et mon ancien métier de psychomotricienne dans le médico-social. Pouvoir tenter de mêler les deux grâce à cette très belle initiative est vraiment une chance pour moi. J'ai l'impression que mon métier d'artiste prend tout son sens. Donner accès à une certaine forme d'art à ceux qui en ont sûrement le plus besoin et qui en sont souvent privés est vraiment très important pour moi.” Car le nœud du problème est fatalement ici : comment accéder à la culture, à la musique autre que celle relayée par les grands médias mainstream, quand l’accès à celle-ci est plus difficile, que ce soit à cause d’un handicap, d'un manque de moyens ou de connaissance ? Pour Yvonne La Nuit, ces initiatives replacent justement l'artiste dans son rôle de médiateur, de miroir, de transformateur et d'éveilleur de conscience. “Si l'artiste peut faire rêver - et j'attache personnellement beaucoup d'importance au rêve et à l'inconscient dans ma pratique artistique - l'artiste doit aussi nous aider à nous réveiller.”
L’artiste éveilleur et pansement pop apparaît alors très important pour la société, en complément du travail remarquable et indispensable que les travailleur.se.s sociaux-médicaux font un pour aider les personnes en difficulté. Cléa Vincent a par exemple créé un podcast avec des mamans de prisonniers mineurs à la suite d’un atelier avec la Protection judiciaire de la jeunesse : “C'était magnifique de les rencontrer, d'échanger sur la musique. J'en ai fait un podcast où se mélangent des sons ou ce sont elles qui jouent des instruments, parfois chantent, et répondent à la question chacune leur tour : "Pour vous, qu'est ce que c'est d'être maman ?" Bien sûr, ces rencontres ouvrent les yeux sur les difficultés du monde, mais c’est aussi très fort que de se réunir pour donner le meilleur malgré les problèmes ! Oublier les problèmes et faire de la musique ! Facile à dire sans doute, mais j’ai pu observer que la musique adoucit pour de vrai, les rapports et les blessures”.
Au foyer Kellerman, quelle joie de voir ces personnes parfois coupées du monde, surtout en ce moment, ravies de discuter et rencontrer de nouvelles personnes, de danser, de chanter, d’être vues et entendues, le concert de Fleur Offwood devenant un véritable échange, loin de la norme établie du regardant et du regardé propre au spectacle vivant : “Le public d’aujourd’hui était constitué de personnes porteuses d’un handicap mental, et on se connaissait déjà donc c’était un grand bonheur de leur présenter mon nouvel album en avant-première, de leur parler de chaque titre… C’est ce que je fais aussi en live avec des personnes "valides" même si au fond je pense que nous sommes tous.tes handicapé.es, au moins par nos conditionnements, et thérapeutes à la fois. La guérison est collective en live. C’était joli... A un moment donné, deux jeunes femmes sont venues près de moi au moment où je chantais ma chanson “Géraldine”, qui parle de sororité. Il faut surfer sur l’émotion quand ces moments de grâce allument le set.” raconte Fleur. “Il faut beaucoup de courage pour se confronter à ce type de public” ajoute Cléa Vincent. “C'est comme regarder la dureté en face des trous. On se rend compte à quel point on est privilégiés, d'être libres, en bonne santé... On se sent littéralement impuissant.e face aux soucis de ces personnes, c'est pour ça qu'il faut rester dans l'instant présent, et donner le meilleur sans trop réfléchir ! Rester dans la joie malgré les visages qui parfois sont très tristes… Je n'en reviens jamais indemne de ces moments de partage, je ressors bouleversée mais plus forte encore, car je prends exemple sur le courage de ces personnes !”
Chanter pour ceux qui sont loin de chez eux, qui sont seul.e.s, qui ont besoin d’aide est finalement un acte politique, social, et qui fait du bien à tout le monde, artistes et publics : “Je peux difficilement expliquer à quel point ça remplit mon cœur de lumière et de joie de faire ce genre de projet. J’essaie d'être à 100% avec eux et qu’on donne chacun le meilleur” nous dit Cléa Vincent. “L’objectif d’un concert/atelier solidaire n’est pas tout à fait le même qu’un concert qui ne l’est pas. On se déploie différemment. Ça donne vachement confiance, on ne se sent pas jugée de la même manière, surtout si on a un travail à faire ensemble comme écrire une chanson, chanter, composer… Lorsque c’est purement un concert, le voyage est différent. Toutes les chansons ont une portée différente lorsqu’on a en face de soi un public en difficulté. Ça raisonne pas pareil ! C'est beaucoup plus émouvant.”. “L'artiste dans la société a une place particulière dans le sens où il a "la parole". C'est donc de sa responsabilité de savoir ce qu'il dira ou non et à qui il s'adresse." ajoute Yvonne La Nuit. Pour Fleur Offwood, c’est aussi un héritage pop et politique qu’il faut continuer à explorer : “La rencontre avec toutes sortes de gens est une source d’inspiration inépuisable pour moi. J’ai grandi avec Balavoine, France Gall, Michel Berger qui associaient leur propos insurgés à de la pop. Je voyais à la télé Gainsbourg défendre ses musiciens jamaïcains, mes parents étaient fans de Coluche... Bref on allait sur scène avec une vision solidaire du monde, et heureusement, ce genre d’énergie est toujours là. Voilà pourquoi je me sens à l’aise avec l’idée de chanter des idéaux de vivre ensemble, et de les essayer en vrai, via des concerts ouverts à tous.tes.”
Des chics filles on vous a dit.
Texte et Photos Nicolas Vidal
Sauf photo Yvonne La Nuit Sébastien Navosad
Merci au Foyer Kellerman, à leur habitants, à Fleur Offwood, Cléa Vincent et Yvonne La Nuit
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