Le blind test d'Olivier Rocabois
Si Olivier Rocabois avait eu 20 en 1973, nul doute qu’il aurait arboré un manteau de fourrure pour jouer sur un piano en feu les mélodies hautes en couleur de son premier album. Il aurait probablement écrit des perles pop pour les paroles sentimentales de Françoise Hardy, et aurait tutoyé Sir Elton dans les charts de l’époque. Seulement voilà, en 1973, Olivier Rocabois n’était pas né. Heureusement pour nous, car il serait peut être tombé dans l’oubli, comme Todd Rundgren, où seulement aimé des aficionados du glam, et qu’il aurait été dommage de ne pas avoir un album comme le sien à écouter en 2021, année morne où sa pop luxuriante et son chant direct font un bien fou et de l'électricité partout. Le bien nommé “Olivier Rocabois Goes too far” va définitivement trop loin : trop de mélodie, trop de baroque, trop de chœurs, trop de soleil et de voix de tête, et ce n’est presque pas assez. Olivier Rocabois vient de signer le plus bel hommage à la musique pop des 40 dernières années. Nous lui avons donc soumis quelques chansons en blind test pour évoquer avec lui quelques pistes de l’histoire et de son histoire…
David Bowie / “Young Americans”
““Young Americans” de Bowie ! L’amour d’une vie ! Grand chanteur, grand compositeur, grand vampire aussi. Ce disque, j’y suis venu un peu plus tard. La gifle pour moi, c’est plutôt “Hunky Dory”. On ne sait pas par quel bout le prendre, Bowie, tant on est tous désarmés pour parler de lui. C’est l’un des plus beaux, l’un des plus grands chanteurs avec Paul McCartney. Ce sont mes deux profs de chant. Parfois j’espère ne pas trop le singer, mais j’ai tellement chanté ses chansons. Quand tu aimes un artiste, tu modèles et tu choppes des tics, comme lui avec Little Richard d’ailleurs. Après, c’est bien de les mettre à sa sauce. J’écoute toujours très souvent ses albums. Je me réjouis si on me dit qu’il y a une amplitude dans mon chant, comme chez lui. J’aime vraiment ça, il y a un plaisir physique du chant, et une exultation presque sexuelle. J’ai beaucoup travaillé mon chant. J’avais quelques petites aptitudes pour chanter haut, et en chantant ses chansons et d’autres, je me suis aperçu que j’étais à l’aise avec ça, et j’ai modelé mes compositions vers ça. Le chant c’est au coeur de mon projet.”
Supergrass / “Alright”
“C’est Supergrass ! “Alright” ! Ça j’adore ! C’est hyper émouvant d’entendre ce titre. J’avais 20 piges en 1995 au moment de la Britpop. Ce sont des musiciens de ma génération et j’aimais bien la tronche de Gaz Coombes. Ce premier album est excellent, même s’il a quelques défauts. A l’époque, on écoutait les albums de A à Z, et c’est une différence notable. Ce sont un peu les oubliés de la Britpop sur le podium. Moi je déteste les classements, que ce soit les chansons, les groupes, les albums. Tout le monde a son mérite. Mais on cite toujours Blur, Pulp, Oasis et Suède et on les oublie parfois. Mais j’adore cette chanson. Ce n’est pas de la nostalgie mais ça me rappelle la fiesta permanente. C’est aussi un titre très pianistique. Ça a été un énorme tube. Le piano dans la pop, pour moi c’est indissociable. J’ai commencé par la guitare, et le clavier un peu plus tard, et j’ai transposé les accords de gratte au piano, et la pop que j’aime - Todd Rundgren, Harry Nilson, Elton John, Lennon et McCartney - c’est une pop qui se joue au piano.”
Elton John / “Rocket Man”
“Ah ben voilà “Rocket man” ! Les premiers albums d’Elton John, c’est bouleversant. John Lennon lui avait prédit un bel avenir, et il ne s’était pas trompé. Toute cette imagerie un peu spatiale dans la pop avec “Space Oddity” de Bowie, “Cosmic Dancer” de Bolan, ça me plaît beaucoup. J’adore les orchestrations d’Elton. C’est accessible, et des mecs comme moi essaient modestement de courir derrière. Il accomplit le miracle d’associer des compositions très complexes avec un arrangement très élégant qui rendent les chansons très pop et très accessibles. Avec Bernie Taupin, ils ont écrit des chansons en une demi-heure comme “Your Song”. Les premiers albums d’Elton John, c’est miraculeux. Nous, on l’a connu après la dope, dans les années 80 avec Lady Di, et à part “I’m still standing” qui a plus de 40 ans, c’est moyen. C’est sorti à peu près en même temps que “Let’s Dance”, et c’était un moment bizarre pour ces mecs qui n’avaient que 35 ans. Dans ma chanson “High as High” qui est un hommage à l’amour domestique - je suis avec la même personne depuis 22 ans, ce qui est assez rare dans notre génération - je dis la phrase “I’m still standing”. Elle est arrivée quand j’écrivais le texte. Je voulais la virer et finalement je l’ai gardé comme un hommage.”
Bertrand Burgalat / “36 minutes”
“C’est Philippe Katerine ! Ah non ? C’est Bertrand Burgalat ! Vocalement, j’ai vraiment cru que c’était Katerine, que j’aime beaucoup. Bertrand Burgalat, je suis très fan de son travail depuis “Aux Cyclades électroniques”, de ce qu’il a produit, pour Valérie Lemercier notamment et Catastrophe. J’ai une âme de fan, et c’est quelqu'un qui compte énormément pour les fans de pop en France. Il m’émeut et m’impressionne beaucoup, et je suis très flatté qu’il aime ma musique et qu’il le dise publiquement, notamment dans Rock&Folk. J’aimerais beaucoup travailler avec lui pour mon prochain disque.
J’aimerais aussi parler un peu de Katerine car je les ai croisés à peu près au même moment. Moi je suis breton de Vannes, et l’astre noir de Rennes, c’était Daho. Mais on voyait qu’à Nantes, il y avait Katerine, Dominique A, les Little Rabbits. La Bretagne était quadrillée par la pop. En arrivant à Paris, je trainais à Pigalle et je vois Katerine dans un bar du quartier, donc après quelques pintes, j’ai fini par aller le voir avec une cassette démo. 15 jours plus tard, il me répondait avec un commentaire sur chaque titre, me disant ce qu’il aimait, ce qu’il n'aimait pas, des pistes à améliorer… Et je l’ai revu quelques années après, notamment dans une soirée organisée par Tricatel au Bowling de l’avenue Foch. Ce sont des artistes que je croisais et qui m’impressionnaient beaucoup. Quelques années plus tard, à une dédicace d’un album qu’il sortait, Katerine m’a reconnu, et il s’est souvenu de mes chansons, et ça m’a beaucoup touché. Avoir l’aval de ces 2 artistes est très touchant pour moi.”
Barry Manilow / “Mandy”
“Ça devient de plus en plus dur ! Tu vas devoir marquer “Longue hésitation”... Je connais mais je ne vois pas qui c’est ! Cette basse en avant j’adore. C’est Dennis Wilson ? Barry Manilow ? Ah je n’aurais pas trouvé. C’est trop costaud ça ! C’est lui qui avait fait “Copacabana” non ? C’est vrai qu’à cette époque, les chansons très populaires étaient ultra bien produites. Je vais avouer un truc : pendant un des confinements, je me suis abonné à Télé Mélody, une chaîne où ils passent des vieux shows seventies présentés par Claude François, dans leur jus. Des artistes comme Barry Manilow venaientt dans ces émissions, ça devait couter un fric fou. Dans un des shows mégalo de Cloclo qui doit dater de 1973, il y a des invités comme Mort Shuman, grand compositeur et grande figure oubliée, et il y a un moment où Claude François présente les nouveautés qui viennent des USA, et dans le lot, il y a Nina Simone et les Jackson Five. Il y avait une qualité de production incroyable ces années-là dans la musique populaire, une inventivité dans les arrangements. Bon il y a aussi l’illusion rétrospective, on enjolive un peu tout ça, mais il y avait quand même un mélange entre une exigence artistique réelle et des tubes commerciaux, comme chez les Beatles qui sont mes Dieux vivants. Ils sont passés de Rubber Soul à St Pepper en un an et demi. C’est fou quand on y pense. Moi je suis très content si on relève le caractère “populaire” de mes chansons. je n’ai pas du tout envie de faire un truc de niche dans mon petit coin.”
God help the girl (Emily Browning) / “Musician, please take heed”
“Ah je connais cette voix. Je connais cette chanson. Tu ne m’auras pas cette fois ! Mais c’est qui ?! C’est une reprise ? Ce sont les sœurs Winchester ? Broadcast ? Belle and Sebastian !!! (très exactement une chanson de la comédie musicale “God help the Girl” écrite et réalisée par Stuart Murdoch, leader de Belle and Sebastian) Ah j’ai galéré ! J’adore cette BO. La chanson est super belle. Ça me fait penser à des célébrations de moments collectifs ! Cette musique contient en elle cette émotion. Et c’est très orchestré, notamment les cordes. Cette chanson pourrait être une héritière de “Poupée de cire Poupée de son” et on voit bien comment la pop baroque française des sixties a pu influencer une chanson comme ça. J’écoute beaucoup de musique classique, et depuis quelques années, je travaille aussi à l’Opéra de Paris où je fais de la figuration dans des ballets. Ça m’a permis de découvrir Debussy, Ravel, Prokofiev… Tu as juste envie de faire vœu de silence après avoir entendu tout ça. Des artistes du niveau de Ravel ou Satie, ça te rend humble, mais ils te font aussi te sentir en vie. Ça te prend tellement aux tripes. Avec une telle profondeur de champs, tu ressens toute l’acuité de la vie et la fragilité de l’existence. Mais ça te donne aussi envie, toi petit musicien de pop, de soulever des haltères et de sortir de ta zone de confort où tu utilises les 3 mêmes accords. Avec eux, je suis concentré uniquement sur la musique alors que dans 90% des cas, j’écoute de la musique chantée. Notamment des voix féminines comme Dionne Warwick que j’adore. Moi je suis assez complexé, je n’ai pas trop confiance en moi, mais cette musique me permet de glaner - comme Agnès Varda - des petites informations que j’essaie modestement d’ajouter à mes arrangements, comme un glissé de harpe, et de ne pas rester dans un axe Beatles/Bowie basique. Et j’espère que ça se sent.”
Burt Bacharach / Nikki
“Ah c’est du Bacharach ! Les petits cuivres j’adore ! On a assez peu parlé de musique française, mais j’adore Berger, Balavoine. Berger, mélodiquement, c’est incroyable. “Message personnel”, c’est une chanson magique. Il y a eu un tournant vers 1973 en France, avec les prémices du funk et de la disco. Mais pour revenir à Bacharach, qui est toujours vivant d’ailleurs, c’est le grand mélodiste américain qui met tout le monde d’accord. Toutes les grandes idoles du rock anglo-américain le vénèrent. Il a eu une sorte de retour en grâce au milieu des années 90. Je ne le connaissais pas avant d’ailleurs, sauf les reprises d’Eddy Mitchell, et “Walk on By” où “I say a little prayer”, mais on ne savait pas que c’était lui. Il y a un savoir-faire chez les américains qu’on a eu aussi dans les années 70 - Gainsbourg/Vannier où Berger - qui est assez incroyable, et qui m’a énormément influencé. Sur mon disque, j’aurais voulu faire des choses encore plus orchestrées. Mais de nos jours, ça coûte de l’argent, et je n’avais pas un budget illimité. Mais je me suis permis de faire un titre de 7 minutes, “My wounds started healing”, une sorte de "péplum" comme l’a surnommé Laurent Saligault qui joue de la basse sur mon disque. Je n’ai mis des cordes que sur 2 titres alors que j’aurais adoré en avoir plus. Mais je me suis lâché sur ce titre. Certains penseront que j’en fait des tonnes, mais en même temps, c’est un peu le titre de l’album qui est aussi une référence à McCartney et son album inconnu. Dans la deuxième partie des sixties, quand il a commencé à faire des trucs en solo, il a été question qu’il sorte un album qui se serait appelé “Paul McCartney goes too far”. Et je voulais lui rendre un hommage et lui dire merci pour tout cet apport culturel. Et ça me ressemble aussi au niveau du caractère. J’ai ce gros défaut d’aller très loin, jusqu’à la limite. Ce qui peut être attachant où très agaçant.
Interview et photos Nicolas Vidal
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