PORTRAIT : NINA VERSYP

Il y a toujours une forme de suspicion lorsque des chanteuses ou des chanteurs français chantent en anglais. Est-ce une posture ? Une facilité ? A l’heure de la musique mondialisée, cette question ne devrait même plus se poser. Un artiste peut culturellement ou par son parcours de vie ne pas avoir envie du français dans son art. Mais la France, toujours un peu chauvine, a parfois du mal à cerner les songwriters français qui ne se plient pas à ce diktat.
Nina Versyp chante en anglais. Née en France mais élevée dans des contrées loin de Paris, elle a connu son premier coup de pouce professionnel grâce à Radio France et un concours de chansons.
« Je venais de quitter le cours Florent Musique, et c’est un ami de cette école qui m’a parlé du concours. J’étais absolument novice, je ne connaissais personne. Mais il se trouve que Pomme qui était marraine du concours a eu un coup de coeur pour ma chanson. C’était un geste très spontané, c’est l’une des rares chansons que j’ai écrite en français. Mais c’est avec ce concours que j’ai commencé ma vie professionnelle dans la musique. Cela m’a ouvert beaucoup de portes, j’ai pu rencontrer de nombreuses personnes.»
Malgré ce hasard chanceux, Nina et sa musique n’ont rien à voir avec la chanson ou la pop française.
« Ma mère est moitié kabyle et mon père est moitié flamand, moitié italien. Donc je n’ai pas baigné dans une culture française. Ils sont nés en France mais ils écoutaient plutôt de la musique africaine, de la musique berbère. Mon père écoutait aussi Zappa, Magma… Le seul artiste français qu’on écoutait, c’était Boris Vian. Je n’ai pas la culture de la chanson française. »
Nina Versyp sort aujourd’hui son deuxième EP, en anglais, « Dazy », et force est de constater que le français n’a rien à voir dans la réussite de celui-ci. Après "Paralysed" sorti l’année dernière, Nina enfonce le clou d’une pop folk matinée d’Art Pop. « Mon genre musical, ce serait de l’Indie modern pop. Bon après, je fais des chansons, je suis pas en train de révolutionner les genres musicaux. Je ne fais pas vraiment de la folk, je n’ai pas des harmonies folk, même si c’est dépouillé. J’aime bien la notion d’Art Pop car cela sous entend qu’il y a de l’expérimentation. Je ne fais pas la même musique que Charlie XCX ou Caroline Polachek, mais j’aime bien cette appellation, et je pense que j’ai envie de m’orienter vers cette musique là. »

Il y a effectivement de l’expérimentation dans ce deuxième EP, chaque titre ayant un instrument dominant : l’harmonium sur le très beau « Harmonium Blue » qui ouvre l’EP, la basse sur « Heartless », le piano sur « Hazy »… « Je n’ai pas du tout réfléchi à ça. Quand on a fait l’EP, je ne voulais pas tomber dans une contrainte d’instruments. La chanson « Harmonium Blue », je l’ai composé un peu par hasard et je l’aimais beaucoup. Je trouve que pour un EP, il n’est pas nécessaire de se contraindre. Pour un album, on peut réfléchir à un son global, mais là, je n’avais pas envie de psychoter sur tout. Je le vois plus comme un champs de recherche et d’expérimentation. »
Le premier Ep de Nina paraissait déjà plutôt spontané, mais « Hazy » donne encore plus l’impression d’avoir été façonné d’un jet, dans une chambre, alors que c’est finalement le contraire : « Mon premier EP, je l’avais fait surtout pour présenter quelques chansons. Alors que « Dazy », c’est un EP ou il y a plus de réflexion. J’ai affiné mes goûts. En général je compose à la guitare, mais je trouve que proposer un EP uniquement en guitare/voix, en arrangement, c’est très compliqué. J’ai écouté beaucoup de folk quand j’étais plus jeune, mais sur scène et sur disque, j’essaie d’avoir des effets, j’ai des machines… »
Niva versyp apparait très volubile quand on la rencontre, très loin du cliché de la jeune fille qui fait de la musique pour exprimer un mal-être. Elle parait au contraire très sociable, avide de rencontres et d’expériences. La faute à une enfance voyageuse et un français perdu de vue pendant quelques années. « Je suis née en France, mais je suis partie très jeune. J’ai perdu mon français en fait en vivant en Chine, aux Etats-Unis et en Angleterre. Le français est ma langue maternelle, mais ma langue primaire est l’anglais. J’ai eu pendant très longtemps un accent anglais en français. C’était horrible. Du coup, en rentrant en France, j’ai réappris le français. »
Venue à la musique comme beaucoup d’enfant pour combler les jours de repos, Nina Versyp n’a cependant pas vraiment baigné dans une atmosphère créative, mis à part une grand mère chanteuse dont l’influence est peut être apparue inconsciemment. « Quand j’étais enfant, je voulais toujours m’exprimer. J’ai testé la photo, le théâtre. Mais c’est la musique qui m’a happée. Ma grand mère était chanteuse Berbère, il devait y avoir quelque chose d’inconscient là-dedans. Mes parents ne sont pas du tout artistes. J’ai pris des cours de guitare quand je vivais aux USA. On vivait à Washington. Mon prof me disait toujours que je ralentissais les cours car j’ai des tous petits doigts. Du coup ça a été très compliqué. Mon prof m’a conseillé de chanter, ce que j’ai fait. Mais ça m’a initié à l’instrument et j’ai continué toute seule.»
Comme pour beaucoup de jeunes artistes, l’année 2020 a été une année charnière pour Nina Versyp, à la fois bénie et horrible : « Je me suis mise vraiment à composer pendant le Covid. Je suis rentrée en France et j’ai écrit des chansons. C’est relativement récent même si je chantonnais et que j’écrivais beaucoup. Et puis il y a eu un concours de chanson organisé par Radio France, Didier Varrod et Pomme qui s’appelait « Avoir 20 ans en 2021 ». Et j’ai remporté ce concours. Pomme m’a beaucoup accompagnée à cette époque. Elle me conseillait des gens, me disait ce qu’elle pensait des personnes de qui j’allais m’entourer. Elle m’a donné beaucoup de très bons conseils, notamment dans la gestion de mes droits, des éditions, de mes productions. Elle m’a aidé à me structurer.»

Le français est venu à cette occasion presque comme une bouée, mais Nina Versyp a plutôt décidé de replonger dans l’eau gelée de l’écriture en anglais. « Ecrire en français, je pense que ça viendra avec le temps. Après le concours Radio France, Didier Varrod et d’autres personnes du milieu m’ont un peu poussée pour que je chante en français. Mais ce n’est tellement pas ma culture que je n’avais pas envie. Chanter en français, ça n’a pas de sens pour moi et en plus ça met des barrières. Je pense en anglais, jamais en français. Mais pour le challenge j’y viendrais un jour. Faire un projet en anglais, ce n’est une posture pour moi. J’ai une chanson en français que je sortirais peut être un jour.»
On se demande quelle musique Nina a pu écouter pour créer ce son si particulier, minimaliste et plein d’effets à la fois. « Je me base sur des intuitions plutôt que sur des références quand je compose de la musique. J’essaie de protéger mon cerveau, de ne pas être trop happée par la ville par exemple. Je n’ai jamais pensé à la musique avec des influences en tête. Au final, pendant longtemps, j’ai peu écouté de musique. J’aimais en faire simplement. Même aller à des concerts, ce n’était pas ma culture. Aujourd’hui il y a des artistes que j’aime et que j’écoute, mais si je me remémore les artistes que j’ai le plus écouté, ce sont les Beatles en fait. Je me souviens aussi que j’adorais Lhassa que ma mère écoutait beaucoup. Sa voix me touchait énormément. Aujourd’hui, j’écoute beaucoup Saya Gray. Elle m’inspire dans la manière dont elle produit ses morceaux. J’écoute aussi beaucoup d’artistes qui n’ont rien à voir avec avec ma musique comme le rappeur Jack Harlow. Parfois on va me dire que ma musique fait penser à Kate Bush ou Lana Del Rey, alors que ce sont des artistes que je n’écoute pas du tout. »
Et la suite dans tout ça ? La lauréate du Fair session 2025, des inouïs du Printemps de Bourges et découverte Rock en Seine se pose des questions et a de nouveau des envies d’ailleurs, comme si son rêve de musique se heurtait aux limites parisiennes. « J’ai de nouveau envie de partir à l’étranger. Je suis ici depuis 4 ans, mais j’ai de nouveau la bougeotte. Je fais une musique qui me le permet aussi. Je viens de terminer mes études en France, et pour un voyage de fin d’étude, je suis allé à New York. Grâce à des contacts, j’ai pu faire une session studio à Electric Lady, et être dans cette ville, ou à Londres où je suis allée pour faire une première partie de Stevie Nicks. Cela ne m’a pas forcément envie de m’installer dans ces villes, mais d’y faire des choses oui. Mais j’aimerais aussi beaucoup aller dans les pays scandinaves. »
Au final, peu importe la destination, seule le voyage compte. Et on est prêt à voyager en première classe avec les chansons de Nina Versyp, en anglais ou en français. La première halte se passera le 26 mars à la Boule Noire à Paris, et on y sera.

Nina Versyp, EP « Hazy » disponible
En concert à la boule Noire à Paris le 26 mars
Interview et photos Nicolas Vidal
Comments