Savanah, sur une baie dream pop...

La Dream Pop et le français font-ils bon ménage ? Du côté anglo-saxon, on ne compte plus les groupes de référence de ce genre musical. De Lana Del Rey à Beach House, de Cigarettes After Sex à Mercury Rev, de Cocteau Twins à la regrettée Julee Cruise.
Chez nous, le genre est plus timide, associé à des groupes de rock indé ou en sous genre de la pop. Pourtant, de Requin Chagrin à M83, le genre est bien vivant, la preuve avec le premier EP de Savanah, « Celeste », parfait condensé d’ambiances atmosphériques, d’instruments réverbérés, de souffle dans la voix et de mélodies imparables. Nouvelle venue sur la scène pop et fan de cinéma, Savanah nous séduit par ses chansons mélancoliques et ses nappes synthétiques, son timbre léger et son charme mutin. Son univers unique a séduit les inouïs du Printemps de Bourges, et vous pourrez découvrir ses chansons en live en première partie de Marie Flore ou de Victor Solf en attendant un concert parisien à la Boule Noire le 24 avril.
Pour amorcer cette discussion, nous lui avons soumis quelques titres de films qui nous ont paru cohérents avec son univers musical, prétexte à une discussion pop et matinale dans une laverie parisienne.

Minuit dans le jardin du bien et du mal de Clint Eastwood.
« Le film se passe dans une ville qui s’appelle Savannah… Mon nom de scène ne vient pas du cinéma mais de la littérature. Quand je me suis dit que j’allais faire des chansons, je voulais prendre un pseudonyme pour aller au delà de ma petite personne et pour créer toute une imagerie autour du projet. En regardant dans ma bibliothèque, je suis tombé sur Marguerite Duras et son roman « Savannah Bay » dont l’histoire se passe au bord de la mer et qui parle de souvenirs du passé. J’avais adoré ce livre et je me suis dit que « Savannah », ça sonnait bien pour le projet. Et il y a toute une fantasmagorie américaine autour de ce nom de ville. On peut le prononcer dans toutes les langues. J’ai hésité à garder mon prénom, Agathe, mais il y a déjà eu une chanteuse dans les années 80 qui a eu un projet pop avec ce nom. Et puis ça me rappelait aussi une plage en Angleterre qui s’appelle Savannah, et l’image de la plage me plaisait aussi. »
La nuit américaine de François Truffaut
« La nuit américaine » est un film qui m’a beaucoup marquée quand je l’ai vu. L’esthétique de la nouvelle vague me parle, des actrices comme Anna Karina aussi. Je pense que ce rapport au cinéma a infusé dans mon travail, et j’ai pensé à ce film quand j’ai écrit la chanson. Mais c’est surtout ce procédé cinématographique qui m’a plu, à savoir de tourner une scène qui est censée se passer dans la nuit en plein jour, et d’artificiellement la passer en mode nocturne après coup. Je trouve que cela donne souvent des scènes d’une beauté à couper le souffle. Cela a beaucoup été fait dans les années 60, directement sur le négatif. J’ai pensé aussi au film Lala Land, la scène ou Emma Stone et Ryan Gosling sont en train de danser près de Los Angeles. J’ai pensé au parallèle entre ce système et cette chanson qui parle d’une histoire d’amour qui se passe en Californie.
La dernière nuit américaine qui m’a parlé est dans un film que j’ai vu au festival Premiers Plans d’Angers qui s’appelle « Kneecap », qui parle de la disparition de la langue native irlandaise, et Michael Fassbender est dans une forêt avec un bébé dans les bras dans une scène en nuit américaine, et c’est hyper beau.
Sur L’EP, cette chanson est en duo avec Jordan Wittock qui est une chanteuse américaine que j’ai découverte sur Instagram et j’ai eu un coup de coeur pour elle. Elle est de Los Angeles. Je l’ai contacté pour lui proposer de chanter la chanson avec moi, et elle a aimé et m’a envoyé des centaines de pistes de voix avec lesquelles j’ai pu travailler le titre. Elle a une voix magnifique. J’avais un voyage prévu à Los Angeles quelques mois après, et on a pu se rencontrer pour de vrai. C’était le premier jour, devant le Chateau Marmont, j’étais complètement jet-laguée et je me suis mise à pleurer. C’était très émouvant. C’est la musique qui nous a réunie. »

Blue Velvet de David Lynch
« C’est un film que je n’ai pas vu depuis longtemps. Je me souviens d’un film sombre et à la fois très éclatant grâce à Isabelle Rosselini. Elle représentait une femme puissante qui m’avait fasciné. Je me souviens mieux de « Mullholand Drive » et « Lost Highway ». L’univers de Lynch, entre ombre et lumière est très mystérieux et fascinant. Mais mon film de chevet c’est « Mullholand Drive », d’abord parce que je l’ai vu très jeune. C’est mon père qui me l’a montré. La musique de Baladamenti m’a marquée très vite et les actrices également. C’est un film qui m’a absorbé, notamment la scène au Silencio avec Julee Cruise.
Lynch est vraiment ma première référence en terme d’image mais Baladamenti et Julee Cruise ont marqué ma musique, très connotée Dream Pop. Cette musique a créé quelque chose en moi qui est ressorti plus tard. Puis ensuite il y a eu Beach House ou Cigarettes after sex qui sont des groupes que j’adore. On dit souvent que c’est une musique sombre alors que je la trouve très lumineuse. Et puis bien sûr Lana Del Rey qui est ma principale influence. Elle a d’ailleurs repris la chanson « Blue Velvet ». »
Diabolo Menthe de Diane Kurys
« Je reprends sur scène la chanson d’Yves Simon…mais je n’ai pas vu le film…
C’est une chanson qui a été souvent reprise. Elle me rappelle mon père qui m’a fait écouter beaucoup de musique, dont ce titre quand j’avais 10 ans. Elle a quelque chose de très innocent et mélancolique. Elle a été faite dans les années 70 et j’ai une petite nostalgie de cette période ou il me semble qu’il y avait moins de marasme. En tout cas c’est comme ça qu’en parlaient mes parents. Cette chanson me touche et me rappelle aussi mon adolescence. J’étais très mélancolique comme ado. J’aime beaucoup les arrangements originaux du titre. C’est très intemporel. J’ai essayé de me la réapproprier en mettant ma touche personnelle.
En revanche je sais que c’est un film sur les amitiés féminines. J’aime bien chanter en duo avec des filles. J’ai envie de mettre en valeur les chanteuses et la place des femmes dans l’industrie. J’ai connu Morgane Imbeaud via H Burns, et ça a été un coup de coeur amical et artistique. Je lui ai proposé de chanter « La vague », une chanson sur le désir féminin. Je n’avais pas envie de la chanter avec un homme.
J’adorerais chanter avec Lana Del Rey bien sûr, mais mon duo de rêve, cela aurait été Gainsbourg ou Bashung. Bashung me fait penser à un acteur blessé, dans sa voix et ses chansons. »
The Doom Generation de Greg Araki.
« Je connais très peu ses films. Cela n’a pas été une influence pour moi, même s’il fait partie des réalisateurs phare des années 90, décennie que j’adore pour son cinéma.
(La chanson « Dernier endroit » nous a fait penser aux films de Greg Araki, nous avons donc demandé à Savannah d’ou venir l’inspiration de ce titre)
Je vais encore parler de mon père. C’est une chanson très personnelle. Mon père a fait un AVC il y a quelques années. C’était quelqu’un de très joyeux, sportif, hyperactif. L’AVC l’a rendu hémiplégique et il a donc du s’adapter et devenir quelqu’un d’autre. J’ai vécu cela comme un bouleversement énorme, et j’ai voulu transformer cette épreuve en quelque chose de plus joyeux et accepter qu’il ne serait plus la même personne. On se remontait beaucoup le moral l’un l’autre pour s’aider, et j’ai découvert qu’il existait quelque chose qui s’appelle le deuil blanc. C’est très spécifique car on ne veut pas parler de deuil quand la personne est vivante. J’ai fait cette chanson pour parler de ça, pour parler de lui, dire que la vie n’est pas finie et qu’il faut aller de l’avant. C’est une mélodie assez immédiate, une chanson que j’ai faite très rapidement. »

Savanah, EP « Celeste » disponible (Yotanka)
En concert à La Boule Noire à Paris le 24 Avril
Interview et photos : Nicolas Vidal
Comments